Janis blues

Comment diable démêler un tel écheveau ?

Janis était perdue dans ses pensées. Cela faisait trois jours et trois nuits qu’elle travaillait dans cette immense salle de la bibliothèque. Des litres de café de Salmira la tenaient éveillée, ainsi que la tension nerveuse. Encore heureux que le bibliothécaire la laisse tranquille. Mais sa nomination au rang de barde de ses majestés était officielle, et le bonhomme lui avait fiché une paix royale, voire impériale.

Cette prophétie ! Il en avait été déjà question avant son arrivée à Nathorn. Qui ne connaissait l’histoire du combat de l’enfant de lumière contre l’enfant des ténèbres. Qui ne connaissait l’heureuse conclusion du combat ? L’enfant de lumière était devenue impératrice. Une fille aux commandes… Janis était venue ici précisément à cause de ça : un pays où une fille avait une chance.

Elle reprit son ouvrage sur la civilisation des anciens. Elle avait enfin pu déchiffrer leur écriture symbolique grâce à un vieux parchemin où le même texte était écrit en ancien et en commun. Trois jours et trois nuits, elle s’en tirait bien. Il lui fallait dormir à présent, elle n’était plus bonne à rien. Mais elle s’offrait le luxe de laisser vagabonder ses pensées.

Quelle suite de rencontres improbables l’avait entraînée dans cet imbroglio ?
Elle eut un sourire amusé en pensant à Béorn, avec qui elle avait partagé ses premières aventures. Un brave gars, un peu rustique, mais qui avait tout gâché en se déclarant fou amoureux d’elle et l’avait poursuivi de ses assiduités. Comment être touchant et si énervent à la fois ? Il l’avait exaspéré à un tel point. Au point de commettre, pour le faire bisquer, le crime de lèse majesté ultime. Elle avait embrassé le frère Berry, tout en ignorant alors qui il était vraiment. Et le personnage était resté stoïque, ni fâché ni flatté, stoïque… Un bloc de marbre dans un habit de prêtre de Tyr.
Plus tard, elle avait appris quel avait été son rôle auprès de l’impératrice pendant le combat contre les armées maléfiques. Elle sourit à nouveau. Elle avait eu affreusement honte tout en ayant une folle envie de recommencer l’expérience.
Berry, l’antithèse de Yealsae.
Yealsae, qu’elle ne connaissait pas, lui avait immédiatement inspiré une terreur folle et irrationnelle.
Berry prenait dans le même temps dans son esprit l’image d’un homme bon, patient, miséricordieux et bienveillant. Au cours d’une trop brève expédition, Janis s’était sentie…Comment dire…. La liberté allait avec la solitude avait-elle découvert, et là, elle aurait pu sacrifier un peu de liberté pour avoir un bout d’épaule sur lequel s’appuyer. Mais les choses avaient tourné différemment, il ne fallait plus y penser…

Et enfin, il avait fallu qu’elle, petite musicienne de cabaret, rencontre dans les rues une femme en armure qui passait par la. Pourquoi se saluèrent elles au lieu de passer leur chemin ? Pourquoi entamèrent elles une conversation anodine ? Présentations : Janis, Ania. Blablablabla. Puis elle avait réalisé et s’était figée : Ania ? L’impératrice ?
« Aussi », avait répondu l’autre, avec un fin sourire. Il avait fallu plusieurs minutes à Janis pour penser à fermer la bouche.
Comment en vinrent elles à faire la causette à l’auberge du coin devant une bière ? Pourquoi avait-il fallu que Janis soit à ses cotés après l’exécution du moine fou ? Et pourquoi Janis avait elle assisté à sa rencontre avec le seigneur Yealsae ? Pourquoi s’était elle sentie son amie ?

Les événements avaient ensuite dérapés. Elle, Janis, avait dérapé. Elle s’était sentie perdue. Le souvenir en était si cuisant qu’elle se plia en deux sur sa chaise et posa son front sur le bois du bureau. Elle ferma les yeux. Souhaita que le sommeil l’emporte. Mais elle se décida à se lever enfin, péniblement, et sortit. Il faisait grand jour. Elle dormirait quand même…