Janis...

Extrais d'un livre...


Le feu crépita un peu plus. La liasse de papier se racornit et disparut en quelques secondes. Quelques secondes pour des heures de travail, quelques secondes pour une éternité.
Janis contempla les flammes. Que disait Jeyna ? Non qu’elle ne l’écoutait pas, elle était son amie.
Mais plus rien de semblait atteindre Janis. Yealsae et la petite Anyel étaient partis vers le ponton pour rejoindre le continent. Elles étaient là toutes les deux, assises autour du feu. La nuit était douce à Salmira. Mais il ne fallait pas s’y tromper. Salmira avait pris Ania.

Les prédictions de la prophétie n’avaient fait que servir la prophétie. Janis n’avait rien su éviter. Quelle outrecuidance d’y avoir seulement songé. Ou avait elle lu que même la plus petite personne pouvait changer le cour des choses ?
Ah, les livres….

La prophétie, inexorable, poursuivait son mystérieux dessein. Janis enrageait d’être à ce point un rouage si dérisoire. Avec Jeyna, et même avec Yealsae qui avait sûrement du faire un effort pour la supporter, Janis avait exploré les ruines des anciens pour y recueillir ces phrases maudites, les traduire, et tenter d’y trouver un sens. Que d’efforts et d’heures de travail et d’espoir… pour rien en fait.

Annoncé, le mariage de l’ex enfant de lumière et du prince des ténèbres. Annoncée, la naissance d’Anyel, sa gestation et sa croissance exceptionnellement rapide. Annoncé, son enlèvement. Et annoncée, cette mort d’un être aimé….
Lequel ? Janis avait tu cette dernière phrase à tous, même à Jeyna. Qui d’Anyel, Ania ou Yealsae ?

Jeyna bavardait. Elle lui en su gré. Elle l’écouta distraitement et la paya d’un faible sourire, son meilleur en réserve dans un moment pareil, pour la remercier de ses efforts.
Les notes de Janis avaient brûlé, mais pas les rouages de son esprit. Et malgré elle et son immense fatigue, ils continuaient à cliqueter activement.

La cascade des événements défila à nouveau. Le couple impérial avait surgi, affolé. Anyel avait disparu. Un bébé !
Jeyna et elle s’étaient joint à eux dans leurs recherches précipitées. Ils avaient écumés tous les abords, plongés dans tous les bouges et endroits mal famés. Rien.
La panique croissait. Des personnages aussi puissants et aussi forts, plongés dans un tel désespoir, Janis n’oublierait jamais.
Qui eut l’idée de se rendre au temple de Baine ? Ils y découvrirent avec horreur les corps des prêtres. Morts. Et curieusement dévêtus. Janis ne nota pas ce détail, prise par un dégout déjà envahissant. Non plus que Yealsae. Et tous deux eurent tort.
Ils arrivèrent à Nathorn. Pourquoi les catacombes du temple de Tyr ? Janis ne savait plus.
Là, une assemblée d’homme en robe noire de Baine. Bien vivants ceux la.

Ania les apostropha : ma fille ! Yealsae se joignit à elle. Le ton monta. Très vite. Mais quel prêtre accusa Yealsae de trahison à son dieu, lui, le favori de Baine ? Ania se retourna d’un bloc vers lui. Janis aurait du jubiler à cet instant, pour prix de ses mois de doutes et mise en garde. Mais elle n’y songea pas un instant. Grande leçon : avoir raison ne sert à rien quand on est du mauvais coté de la lame.
La mêlée fut atroce et la bataille sanglante. Les hommes en noirs furent décimés pas les époux impériaux, plus que par les quelques coups d’épée dérisoires de Janis, plus destinés à la maintenir en vie que de vraiment participer à la bataille.
Mais pas d’Anyel.
Ania toisa morts et vivants et quitta le champ de bataille comme une furie en rabrouant son traître époux.
Yealsae devint fou, il s’approcha de l’autel et apostropha son dieu.
« Je te renie dieu indigne, rend moi ma fille ! »
Silence.
« Je poursuivrai tous tes adeptes, détruirai ton culte, anéantirai toute trace de ta pseudo divinité. Je te hais, te renie ! Sois maudit , maudit à jamais ! Je veux ma fille ! »
Perdant tout sang froid, laissant une colère formidable l’envahir, Yealsae se mit à frapper à coup redoublés sur la statue infâme, éclats de pierre et de métal se mêlant pour voler au loin. L’écho des chocs répétés se répercuta dans toute la crypte, ramenant de l’obscurité toute proche et inquiétante de curieuses rumeurs.
Puis dans un grondement, une voix sépulcrale, glaciale et grinçante sembla suinter des murs.
« Toi mon favori, tu ne disposes plus de la grâce de ton dieu. Péris ! »
Yealsae s’effondra.

Jeyna et Janis étaient seules, cernés de cadavres et d’un ex prince des ténèbres agonisant.
« On fait quoi, maintenant ?
- On le sort de là, aide moi.
- Je croyais que tu l’aimais pas, Jeyna ?
- Je l’aime pas et toi non plus, mais on le sort de là.
- Il mérite pas.
- Non, il mérite pas.
- Attends, juste en passant.
Janis mit un coups de pied dans le tibia du gisant :
« Ailleuuu, saloperie d’armure ! Elle boitilla un peu.
- Aide moi au lieu de faire l’andouille, il est lourd l’animal ! »

Elles le traînèrent dehors, lui prodiguèrent les premiers soins. La prophétie en personne lui aurait annoncé ça quelques moi auparavant, elle lui aurait botté les fesses en la traitant de charlatan !

Il revint à lui, affaibli, désespéré. Pauvre homme. Et Janis était profondément sincère. Elle haussa les épaules à cette constatation :
« Pauvre conne », se dit elle.

« Sur un sommet où la neige est figée,
A l’entrée d’un lieu anciennement consacré,
Temple des anciens à présent infesté,
Là où la lumière cinglante fut forgée
Celle qui fut perdue sera retrouvée

Non pas détruite mais loin bannie,
Pour échapper à l’insulaire infamie,
D’un être aimé jaillit le cri,
Qui la conduisit si loin d’ici.

Les contraires par magie seront liés,
L’invocation finale sera prononcée,

Son corps affaibli mais son âme raffermie,
Par l’amour des siens le miracle s’accomplit,
Aucun sacrifice ne saura rester vain,
D’un empire d’un peuple en dépend le destin.

- Ca veut dire quoi ces conneries ?

Janis foudroya Jeyna du regard. Lui casser ainsi son effet ! Elle avait pris la bonne voix, le bon ton, juste ce qui faut de théâtralité, sans trop de pathos. Bon, la traduction, elle avait fait ce qu’elle avait pu, pour respecter le fond mais aussi un peu la forme. C’est vrai quoi, on comptait sur elle, Janis ceci, Janis cela, enfin elle apportait une pierre à l’édifice et patatras, un « c’est quoi ces conneries »….
Rhaaa, et puis c’était pourtant clair, même ce benêt de Yealsae avait compris. Lui, il avait bu ses paroles. Anyel aussi d’ailleurs.
Tous assis à la taverne de Malmorne, les quatre faisaient le bilan de leur expédition à la crypte noire.
Cette ruine, près d’Orpala, était la dernière ruine des anciens que Janis n’avait pas fouillé. Enfin… elle avait fait une tentative avec Jeyna, mais elle n’était ressortie qu’avec moult contusions. Son œil avait à peine dégonflé et elle avait cessé de boiter… il n’y avait pas si longtemps. D’ailleurs, elle était incapable de se rappeler comment elle était sortie…. Encore un mystère.
Mais là, avec Yealsae et Anyel, elle avait trouvé. Dans deux coffres distincts, dans de petits compartiments dissimulés, elle avait fait main basse sur un parchemin et un livre. Le livre contenait une formule magique. Et le parchemin, elle venait de le traduire à haute voix.

Yealsae jubilait :
« Ania n’est pas morte, elle va revenir, je le savais, je le savais. » Ses yeux brillèrent, ses phalanges blanchirent en serrant fortement sa chope. Anyel, attentive, posait sur l’assistance de grands yeux interrogateurs mais tranquilles.
« Mais de quoi parlez vous enfin, c’est ce charabia qui vous met dans cet état ? Et tu as été pécher ça ou toi ? » demanda Jeyna.
Janis, décidée à être patiente avec son amie très chère, lui expliqua leur expédition. Mais Jeyna ne trouva qu’à hausser les épaules.
« Mais Ania est morte, la place des morts n’est pas parmi les vivants.
- Non, elle n’est pas morte, le texte dit que le cri l’a envoyé dans un ailleurs indéterminé pour la sauver de Salmira. C’est pourtant clair non ? Et je ne vois pas ce qui vous pose problème. Tout est clair.
- Je dois avouer que je partage cet avis. L’endroit est le sommet de la montagne dYldure. La phrase sur la lumière cinglante forgée fait référence à l’enchantement de l’épée de lumière, par le Prêtre Calad, en présence d’Ania, à cet endroit même. Anyel, pourrais-tu nous rappelez quels composants de sort tu as vu en rêve ?
- Oui, des champignons blancs et noirs, de la terre de cimetière et de l’eau bénie.
- Si l’on admet que blanc et noir s’opposent, ainsi que terre et eau, et cimetière mort et bénie vie…
- Mouai, un peu tiré par les cheveux ça Janis, tu ne crois pas ?
- Non.
- Bon, admettons, au prix d’un effort surhumain, mais admettons. Mais qui va dire l’incantation ? »

Un grand silence se fit, chacun regardant les autres tour à tour. Yealsae finit par soupirer
« Si cela était en mon pouvoir, je ne laisserai ce soin à personne d’autre, malheureusement…
- Moi je le ferais.
- Cela peut être très très dangereux Anyel, je possède quelques connaissance en magie, et ce sort tres très puissant. Il n’y aura rien d’anodin dans cette…. opération.
- Je le ferais. »
Yealsae regarda sa fille, et la jubilation quitta d’un coup son regard. Puis il fixa Janis. Qui haussa les épaules.
« Je pourrai le faire également….
- Et pourquoi ? Je te prie ? Tu en as déjà pas mal fait pour cet homme, qui je le crois, ne te porte pas pour autant si haut dans son estime. Tu as déjà pris beaucoup de risque.
- Désolée Jeyna, mais si je peux aider Ania, elle était mon amie, et puis….
- Et puis quoi, ce n’est pas ta faute, ce qui est arrivé à Salmira.
- Ben si, un peu, si je ne vous avais pas empêcher d’y aller. Je m’en moque que Yealsae m’en veuille – elle le fixa alors intensément – mais moi, je m’en veux. »
Jeyna secoua la tête : « tu es sotte ma pauvre fille, ce que vous allez faire là est contre nature. Tripatouiller la mort comme ça. » Jeyna avait l’air furieuse et s’était levée pour sortir
- Mais elle n’est pas morte ! s’insurgea Yealsae.
- Jeyna ! - La voix de Janis était implorante – Pense à notre pacte, notre pacte de tolérance. Il me semble faisable et légitime de réaliser ce projet. Ania, n’est pas morte, je t’en prie, écoute moi. »
Jeyna la regarda longuement, puis finit pas se rassoir, les bras croisés et le visage fermé.
- Je le ferai, répéta Anyel
- Tu es sur mon cœur ?
- Oui Papa, je peux le faire.
- On peut prendre le temps d’y réfléchir, tu sais…
- Réfléchir à quoi, l’interrompit elle, tu disais que tu voulais.
- Oui bien sur, mais je ne voudrais pas qu’il t’arrive quoi que ce soit, si c’est dangereux.
- Il ne m’arrivera rien, tu m’aideras, et Janis aussi. Hein Janis ?
- Evidemment.
- Et vous Jeyna, vous m’aiderez ? »
Il y eu un silence. Jeyna les regarda tous d’un air navré en secouant la tête.
« Je vais pas laisser l’autre pétasse se faire démolir toute seule sur cette foutue montagne. Et comme elle est têtue comme un phacochère, elle ne changera pas d ‘avis. Bien obligée ».
Anyel sourit : « Nous irons demain alors ».

Tout était dit. Ils bavardèrent un peu, Anyel puis Jeyna se levèrent. Janis resta seule avec Yealsae.
« As tu eu besoin de censurer, comme je te l’avais demandé ?
- Oui.
- Dis. Je t’écoute.
- Les contraires par magie seront liés,
L’invocation finale sera prononcée,
Le noir déclin sera consommé,
Prix d’une Rédemption ici même annoncée.
- Je vais mourir alors.
- Pas nécessairement.
- Je vais payer, quoiqu’il arrive.
- Oui - Janis fit une pause – mais Rédemption veut dire pardon non ?
- Oui, peut être, mais déclin ?
- Je ne sais pas. C’est votre décision, à vous et à Anyel.
- Oui, mais je ne supporterai pas qu’il lui arrive quelque chose à elle aussi.
- Je ne peux pas répondre à ça Yealsae.
- Je sais. »

Janis se leva pour partir. Elle était à la porte quand Yealsae l’appela de nouveau :
« Janis !
- Oui ?
- Merci. » Janis le regarda, haussa les épaules
« De rien ». Elle sortit enfin.